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Déodat-Guy-Silvain-Tancrède (de GRATET) de DOLOMIEU

Déodat-Guy-Silvain-Tancrède (de GRATET) de DOLOMIEU (1750-1801)

La biographie qui suit est extraite de Annales des Mines, Réalités industrielles, juillet-aout 1989, pp 29-32 :
DOLOMIEU (Dieudonné ou Déodat de Gratet de), géologue et minéralogiste français (Dolomieu, Dauphiné, 1750 – Châteauneuf, Saône-et-Loire, 1801). A l’âge de dix-huit ans, il tue en duel un de ses camarades de l’ordre de Malte. Condamné à mort, il est gracié par le grand maître. Dolomieu quitte alors le service militaire pour se consacrer aux sciences: au cours de plusieurs voyages, effectués pour son ordre, il fait de nombreuses et importantes observations géologiques. Il publie (1784) des études sur les tremblements de terre, puis différents mémoires sur le basalte, sur les calcaires auxquels on a donné depuis le nom de dolomie. Nommé, en l’an III, professeur de géologie à l’Ecole des Mines, il devient membre de l’Institut (1795). Dolomieu fait partie de l’expédition d’Egypte, où il séjourne deux ans. A son retour, poussé par une tempête dans le golfe de Tarente, il est fait prisonnier et transféré à Messine. C’est pendant sa captivité qu’il écrira son Introduction à la philosophie minéralogique (1801).
Une vie de savant mouvementée
Les voyages forment… les savants. Des geôles de l’ordre de Malte aux prisons de Messine, en passant par les sables de l’Egypte, la vie de Dolomieu est une parfaite illustration de cet «adage». Gros plans sur quelques épisodes de la tumultueuse destinée d’un géologue du XVIIIe siècle.
La sèche biographie de Dolomieu, telle qu’elle est parue dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, se résume en quelques lignes.
La « Notice historique sur la vie et sur les ouvrages de Dolomieu » que lut Lacépède lors de la séance publique de l’Institut des sciences et des arts le 17 messidor an X, se présente comme un véritable roman picaresque. En voici les extraits les plus vivants :
DU CHEVALIER AU CARABINIER
Déodat-Guy-Silvain-Tancrède (de Gratet) de Dolomieu, naquit le 24 juin 1750, de François (de Gratet) de Dolomieu, et de Françoise de Bérenger. Dès le berceau, il fut admis dans l’Ordre de Malte. Son nom fut ajouté à cette liste sur laquelle on compte tant de noms fameux par de hauts faits et par d’honorables chaînes. On dirait que dès son entrée dans la vie, il fut voué à la gloire et au malheur.
Embarqué à l’âge de dix-huit ans, sur une des galères de son Ordre, il ne put éviter une de ces circonstances que la philosophie a si souvent déplorées, et où, malgré les progrès de la civilisation, la raison, l’humanité, et la religion même, luttaient en vain contre l’honneur, l’habitude et le préjugé. Obligé de repousser une offense grave, il se battit contre un de ses confrères. Son adversaire succomba. Cependant, lorsqu’il fut de retour à Malte, l’estime et l’affection des chevaliers ne purent le sauver de la rigueur des lois. Des statuts révérés prononçaient les peines les plus sévères contre les membres de l’Ordre qui, pendant le tems de leur service militaire, tournoient leurs armes contre d’autres ennemis que ceux de la chrétienté. Il fut condamné à perdre la vie. Le grand-maître lui fit grâce; mais cette grâce devrait être confirmée par le pape. Ce pontife, que d’anciennes préventions rendaient peu favorable à l’Ordre, ne voulant rien faire pour un chevalier, la confirmation fut refusée. Plusieurs puissances de l’Europe s’intéressèrent en vain pour Dolomieu, auprès de Clément XIII; le pape resta inflexible : et Dolomieu languissait, depuis plus de neuf mois, dans une triste captivité, lorsqu’une lettre, qu’il adressa au cardinal Torrégiani, premier ministre de Rome, obtint ce qu’on avait refusé aux têtes les plus illustres. Ses fers tombèrent, et il fut rétabli dans tous ses droits (…).
A l’âge de vingt-deux ans, il suivit à Metz le régiment des Carabiniers, dans lequel il avait été nommé officier vers l’âge de quinze ans. Un événement terrible lui donna lieu d’exercer sa courageuse bienfaisance. Pendant un hiver si rigoureux que le thermomètre étoit descendu au-dessous de douze degrés, un violent incendie se manifesta tout à coup, au milieu de la nuit, à l’hôpital militaire. Le feu faisait des progrès rapides: il menaçait de tout dévorer; et la rivière, profondément gelée, refusait l’eau nécessaire pour éteindre les flammes. On luttait en vain contre le danger qui devenait à chaque instant plus redoutable. Combien de malades allaient périr, lorsque Dolomieu, suivi de trois de ses camarades enhardis par son intrépidité, saisissant les haches devenues inutiles entre les mains des travailleurs découragés, s’élança au milieu des tourbillons de fumée, pénétra jusqu’au fond des salles embrasées, monta sur le faîte des toits ébranlés, et parvint à couper des communications funestes.
Ce dévouement généreux le rendit encore plus cher à un savant, recommandable par sa bonté et par ses connaissances, Thirion, pharmacien de Metz, dont il recevait des leçons de chimie et d’histoire-naturelle. Ce fut dans le commencement de ses liaisons avec ce physicien, que Dolomieu traduisit en italien l’ouvrage de Bergmann sur les substances volcaniques. Il ajouta des notes à cet ouvrage, ainsi qu’à une traduction italienne de la Minéralogie de Cronstedt.
A peu près vers ce même tems, il vit arriver à Metz un de ces hommes vénérés que le génie, qui veille aux destinées humaines, semble avoir placés dans les siècles corrompus, pour que l’image de l’antique probité n’y soit pas voilée (…). Cet homme, dont chacun de nous rappelle le nom avec attendrissement, étoit La Rochefoucault. Dolomieu et lui furent bientôt unis par les liens d’une amitié qui ne devait finir qu’avec leur vie.
Indépendamment des recherches sur la pesanteur des corps, à différentes distances du centre de la terre, que Dolomieu publia dès 1775, il avoit déjà préparé plusieurs travaux. La Rochefoucault les vit, y reconnut la main d’un naturaliste destiné à une grande renommée, en entretint, à son retour à Paris, l’Académie des Sciences; et cette illustre compagnie envoya à son ami des lettres de correspondant.
En recevant ce titre, qui le flatta d’autant plus qu’il ne s’y attendait pas, Dolomieu crut contracter une obligation nouvelle envers les sciences naturelles: il désira de les servir sans partage. Il se démit du grade qu’il avait dans les Carabiniers. Il quitta la carrière militaire.
UN SAVANT DANS LA TEMPÊTE RÉVOLUTIONNAIRE
Libre alors de céder à ses penchans secrets, il commença ses voyages minéralogiques. Il entreprit de visiter les contrées fameuses distribuées autour de la Méditerranée, et de cette île de Malte, où il avait commencé sa noble vocation. Il alla d’abord en Sicile.
N’ayant encore que vingt-six ans, doué de toute la force de l’âge, animé par toute l’ardeur que peuvent inspirer le bonheur de l’étude, et l’espérance des succès, il parcourut les environs de l’Etna (…).
Descendu de l’Etna, il porta plusieurs fois ses pas vers le Vésuve, vers la chaîne des Apennins, vers ces lacs et ces montagnes de l’ancien Latium, qui sont des restes ou des produits de volcans éteints; vers les hautes Alpes, dont il parcourut les différentes directions, aborda les différens glaciers, affronta les pics élancés dans les nues, suivit les torrens, étudia la substance, la structure, et les dégradations.
Les îles de Lipari n’échappèrent pas à ses recherches. Il en publia la description en 1783.
Mais cette année fut marquée par un événement qui répandit la désolation en Italie, et la consternation dans le reste de l’Europe. La Calabre fut agitée par un violent tremblement. Un grand nombre d’infortunés en furent les victimes. Des phénomènes extraordinaires accompagnèrent cette grande secousse. Dolomieu se hâta d’aller visiter cette terre bouleversée, et de rechercher au milieu de ses décombres, la cause de ces funestes événements, liée de si près à la composition du globe, qu’il brûlait au désir de dévoiler un jour.
En 1784, il soumit au public ses idées, non-seulement sur cette catastrophe, mais encore sur les effets généraux des tremblements de terre, dans une dissertation d’autant plus curieuse, qu’il prouva, par des faits incontestables, que, dans la partie de la Calabre où la commotion avait fait le plus de ravages, toutes les montagnes étaient calcaires, sans aucune apparence de matières volcaniques; et en 1788, il mit au jour un Mémoire sur les Iles-Ponces, ainsi qu’un Catalogue raisonné des produits de cet Etna qu’il avait observé avec tant de constance.
Cependant Dolomieu était de retour dans sa patrie après cette époque à jamais fameuse du 14 juillet, où les lumières, la raison, le sentiment de la dignité de l’homme, et l’amour d’une noble indépendance, se montrèrent avec tant d’éclat. Digne ami de la Rochefoucault, il se rangea sous les drapeaux de la Liberté. Mais comme aucune fonction publique ne réclamait l’emploi de son tems, il publia plusieurs ouvrages, pendant les premières années de la révolution française: l’un sur l’origine du basalte; un second sur un genre de pierres calcaires qu’on n’avait pas distingué avant lui, et auquel la reconnaissance des naturalistes a donné le nom de Dolomie; deux autres sur les roches ainsi que sur les pierres composées; et un cinquième sur l’huile de pétrole, et sur les fluides élastiques tirés du quartz. On voit dans ces divers travaux les éléments de ces idées générales dont la réunion devait former une vaste théorie.
Pendant que Dolomieu se livrait à ses méditations, la révolution prenait une face nouvelle. Le torrent qui renversait les anciennes institutions, entraîn
ait, malgré leur résistance, la modération et la prévoyance, qui voulaient en créer de nouvelles. Tout était emporté par un mouvement rapide (…).
Dans cette nuit profonde, au milieu de cet orage épouvantable, la Rochefoucault fut frappé. Dolomieu, qui ne le quittait plus depuis que le danger planait sur sa tête, le soutint expirant dans ses bras, et, bravant les satellites du crime, reçut les derniers voeux de son ami. Ces voeux qu’il formoit pour les objets les plus chers à son coeur, sa mère et sa femme, infortunés témoins de cette scène horrible.
Proscrit à son tour, errant de retraite en retraite, il eut peu de momens à donner aux progrès des sciences. Il publia néanmoins deux Mémoires, l’un sur les pierres figurées de Florence, et l’autre sur la constitution physique de l’Egypte. C’est dans ce dernier ouvrage qu’il eut le courage d’exprimer ses regrets sur la mort de son ami, et de dénoncer à la postérité des assassins dont le pouvoir répandait encore la terreur.
Mais vers l’an 3 de la fondation de la République, les jours de gloire et de tranquillité commençaient de succéder aux tempêtes révolutionnaires.
Appelé dans cette importante école des mines, que l’on venait de créer, et que recommandent si fortement le mérite de ses membres et les services qu’elle a déjà rendus à notre patrie, il y professa la géologie, et fit imprimer plus d’un Mémoire sur la distribution méthodique de toutes les matières dont l’accumulation forme les montagnes volcaniques.
Vers la même époque, la loi constitutionnelle de l’Etat établit l’Institut national des Sciences et des Arts; et dès le premier jour de notre réunion, nous eûmes le plaisir de le compter parmi nos confrères.
En moins de trois ans, nous le vîmes faire succéder dix-sept nouveaux Mémoires à ceux que je viens d’indiquer (…).
Dolomieu entreprend ensuite un voyage dans la France méridionale et dans les Hautes-Alpes puis fait imprimer le compte rendu de ses observations.
UN HABITUÉ DES CACHOTS
Quelque tems après, Dolomieu venait de commencer sur la minéralogie un ouvrage très-étendu, qui devait faire partie de l’Encyclopédie méthodique, lorsque le vainqueur de Lodi et d’Arcole entreprit cette mémorable expédition d’Egypte, dont la politique, le commerce et la philosophie, avaient inspiré le hardi projet. Les sciences et les arts devaient répandre tous les bienfaits de la civilisation moderne, sur cette contrée fameuse, à laquelle l’Europe et l’Afrique ont dû une si grande partie de leurs premiers progrès vers les lumières. Une cohorte sacrée de savans et d’artistes, accompagne l’armée. Dolomieu est nommé pour partir avec eux. La flotte française arrive devant Malte. Dolomieu, qui avait ignoré que l’expédition commencerait par la prise de cette île, se renferme, profondément affligé, dans le bâtiment qui l’avait amené. Le grand-maître s’empresse de le demander pour un des pacificateurs. Le général en chef le choisit. Il va porter à ses anciens confrères les propositions du chef de l’armée. Malte cède aux Français. Dolomieu, attentif envers tous les chevaliers, et sur-tout à l’égard de ceux qui, dans le tems où des dissensions intestines avaient agité l’Ordre, lui avaient été le plus vivement opposés, se conduit avec tant de générosité et de délicatesse, qu’un grand-officier Maltais, qui s’était montré son plus ardent antagoniste (le Bailli de Loras), lui déclare avec une loyauté digne de tous les deux, qu’il se reprocherait toute sa vie d’avoir été injuste envers lui.
Cependant on arrive sur les côtes d’Egypte. Tout se soumet ou se disperse devant le génie de la victoire. Dolomieu visite Alexandrie, le Delta, le Caire, les Pyramides, une partie des montagnes qui bordent la longue vallée du Nil. Il voudrait parcourir toutes les chaînes qu’elles forment, examiner toute cette partie du bassin de la Méditerranée, qu’il voit pour la première fois, pénétrer jusqu’aux rives de la mer d’Arabie, remonter au-dessus des cataractes, s’enfoncer dans les sables de la Libie. Les circonstances s’y opposent. Sa santé se dérange. Il est obligé de repasser en Europe.
Dès le lendemain de son départ d’Alexandrie, le vent devint impétueux; l’eau entra dans le bâtiment avec violence; on jeta à la mer tout ce dont on put débarrasser le vaisseau; on fit des efforts extraordinaires: Dolomieu ne cessa de donner à ses compagnons l’exemple de l’intrépidité; mais l’épuisement des forces, et un découragement absolu, firent cesser le travail. On allait abattre les mâts, et s’abandonner à l’orage, lorsqu’un vieux patron Napolitain propose de répandre autour du bâtiment du biscuit pilé et de la paille hachée. Cet expédient, qui parut d’abord ridicule, réussit néanmoins. Les voies d’eau furent fermées par ces fétus qu’entraînèrent les filets du fluide qui se précipitait dans le bâtiment. On renouvela cette ressource inattendue aussi souvent qu’on put l’employer. Le vaisseau échappa à la submersion ; et après avoir été agité par des vents affreux pendant près de huit jours, il fut poussé par la tempête dans le golfe de Tarente, et entra dans le port au moment où il allait s’entr’ouvrir.
Le lendemain, un matelot mourut de la peste. Mais un danger plus grand menaçait les Français.
Depuis trois jours, la sanglante contre-révolution de la Calabre avait commencé. Les Français furent faits prisonniers, mis à terre, et conduits, au milieu des cris de mort d’une multitude féroce, dans un cachot, où Dolomieu, le jeune minéralogiste Cordier, son compagnon fidèle, le général Dumas et le général Manscour, furent entassés avec cinquante-trois de leurs compatriotes.
Plusieurs fois la populace de Tarente se rassembla pour immoler les Français naufragés : toujours elle fut contenue par un émigré Corse, nommé Buca Campo, qui, digne, par son héroïsme, d’une meilleure cause, ne cessa de risquer sa vie pour sauver celle des Français.
Dix-huit jours après, on annonça l’arrivée des légions républicaines triomphantes. Les prisonniers Français furent transférés dans une maison spacieuse, où on chercha à leur faire oublier les mauvais traitements qu ‘ils avaient éprouvés. Mais nos troupes ayant été rappelées du royaume de Naples, le danger des prisonniers fut plus grand que jamais. Dolomieu cependant faisait des extraits de Pline, pour un ouvrage qu’il préparait sur les pierres des monuments antiques, s’entretenait d’histoire naturelle avec ses compagnons d’infortune, rappelait le souvenir des amis qu’il avait laissés dans sa patrie, lorsque les prisonniers furent embarqués pour la Sicile, d’où on devait les renvoyer en France. On les dépouilla de ce qu’ils possédaient : Dolomieu perdit ses collections et ses manuscrits ; et trois jours après l’arrivée des Français à Messine, il apprit qu’il venait d’être dénoncé (…).
Le péril devenait à chaque instant plus pressant. Un petit vaisseau maltais était auprès de celui dans lequel les Français étaient encore retenus. Dolomieu pouvait, par le moyen de ce bâtiment, espérer de se sauver; mais si la sentinelle résistait, il fallait lui ôter la vie. Dolomieu ne voulut pas de son salut à ce prix.
Il confia à son courageux élève, des lettres pour ses amis, lui remit pour eux, des observations précieuses sur le niveau de la Méditerranée, qu’il rédigea avec autant de tranquillité, que si ses jours avaient été les plus prospères, lui recommanda sa mémoire, serra dans ses bras les Français dont il allait être séparé, s’efforça d’adoucir leur peine, et, sans ostentation ni faiblesse, se livra aux satellites envoyés pour l’arracher à ses compatriotes, qui frémissaient de rage de ne pouvoir le délivrer.
On le précipita dans un cachot éclairé par une seule
ouverture, que, par une précaution barbare, on fermait toutes les nuits. Là, il fut privé de toute consolation; là, un geôlier inflexible cherchait, en lui annonçant les nouvelles les plus absurdes sur l’état de la République, à lui enlever même l’espérance. Là, il était forcé de passer une grande partie de ses longs jours et de ses longues nuits, à s’agiter en tout sens, et à secouer avec violence les haillons qui lui restaient encore, pour donner à l’air un mouvement qui l’empêchât de cesser d’entretenir sa respiration.
Cependant le jeune Cordier avait revu la France avec les lettres de Dolomieu. A l’instant, la nouvelle de ses malheurs se répand dans la République, et retentit dans toute l’Europe. L’Institut national le réclame avec force. Le Gouvernement français redemande un citoyen qui honore son pays. La Société royale de Londres, et son célèbre président, devenu maintenant notre confrère, joignent à nos voeux l’intervention la plus pressante. Les savans de l’Europe invoquent en sa faveur, et la justice, et l’humanité, et la gloire des lettres. Des Danois écrivent à leurs correspondants de retenir des fonds à sa disposition. Un Anglais établi à Messine (M. Predbend), lui voue les soins les plus généreux. M. d’Azara, cet illustre ami des sciences et des arts, que l’attachement le plus tendre unissait à lui depuis un très-grand nombre d’années, seconde par tous les efforts de son zèle, ceux que ne cessent de renouveler les parens de Dolomieu. Le roi d’Espagne écrit deux fois pour lui. Ses fers cependant ne sont pas brisés; il ignore même si son affreuse destinée est connue de ceux qu ‘il aime le plus.
Pendant ces vaines tentatives, le vénérable Daubenton termine sa carrière. La place qu’il occupait dans le Muséum d’Histoire naturelle, devait être donnée au plus digne. Deux noms étaient prononcés par la voie publique; celui de Haüy et celui de Dolomieu. Dans toute autre circonstance, les professeurs du Muséum auraient hésité dans leur choix. Mais Dolomieu était captif. Il fut nommé par les professeurs.
Peu de jours après éclata un de ces événements qui décident du sort des empires. L’admirable et rapide campagne terminée par la victoire de Marengo, affermit la République sur sa base, et régla les destins de l’Europe. Bonaparte donne la paix à Naples; et la première obligation imposée par ce traité, dont la philosophie conservera le souvenir, fut la délivrance de Dolomieu. Son retour au milieu de ses proches, de ses confrères, de ses amis, fut une sorte de triomphe littéraire (…).
Dolomieu entreprend un dernier voyage dans les Alpes, publie: «De l’espèce minéralogique» et meurt le 7 frimaire de l’an X (28 novembre 1801), à Châteauneuf (Saône-et-Loire), chez sa soeur, où il était allé chercher un repos bien mérité par tant de fatigues et de tribulations.
Il était membre de l’Institut depuis la création.
Ses collections furent recueillies par son beau-frère le marquis de Drée, dont l’inappréciable cabinet devait être acquis pour l’École des mines en 1837.
Dolomieu (Dieudonné de Gratet de), géologue et minéralogiste, né en 1750, au château de Dolomieu en Dauphiné, mort en 1801, membre de l’Institut, ingénieur et professeur à l’École des mines et au Muséum d’histoire naturelle, a enrichi la science par ses recherches sur les substances volcaniques et sur une foule de questions de géologie et de minéralogie. Il était entré jeune dans l’ordre de Malte, mais il le quitta après avoir tué en duel un des chevaliers et avoir subi pour ce fait une détention de 9 mois. Rendu à la liberté, il se consacra à l’étude des sciences. En 1777, on le voit parcourir le Portugal : l’année suivante, l’Espagne : en 1780 et en 1781, la Sicile et les îles Éoliennes; en 1782, la chaîne des Pyrénées, et en 1783, le midi de l’Italie, où l’avait attiré le mémorable tremblement de terre de la Calabre. En 1789 et 1790, Dolomieu visita le Mont-Blanc et le Mont-Rose, il examina les roches qui forment la vallée du Rhône, il franchit le Saint-Gothard et suivit la chaîne des Apennins, depuis le lac Majeur jusqu’aux rives du Garigliano; il foula les cratères éteints de la plaine latine, retrouva aux champs Phlégréens le pays des Lestrygons (allusion à un épisode de l’Odyssée), et revint en France en 1791, apportant de riches collections minéralogiques. Dans les années suivantes, il explora l’Auvergne et les Vosges. La part qu’il prit à l’expédition d’Égypte lui permit de visiter le Delta, la vallée du Nil et les sables mouvants de la Libye. Le 7 mars 1799, il se rembarqua à Alexandrie; rejeté par une tempête dans le golfe de Tarente, il fut fait prisonnier, endura pendant vingt et un mois, dans les cachots de l’Ordre de Malte, à Messine, les plus horribles privations et souffrances. Il eut encore la force d’y rédiger son Traité de philosophie minéralogique et son Mémoire, et de les écrire avec un morceau de bois noirci à la fumée de sa lampe, sur les pages d’une Bible, le seul livre qu’on lui eût laissé. Il mourut (le 15 mars 1801) peu de temps après sa mise en liberté. Les minéralogistes ont donné en son honneur le nom de dolomie à une espèce de pierre calcaire phosphorescente. Lacépède prononça en 1809 son Éloge à l’Institut.
Gratet de Dolomieu était devenu, comme Desmarets, partisan du vulcanisme par la direction de ses études.
Dolomieu faisait ses courses géologiques à pied, le sac sur le dos, le marteau à la main; elles développèrent en lui de grandes pensées sur les révolutions du globe, sur le soulèvement des montagnes, sur le siège de conflagrations des volcans, sur le trapp, sur l’origine du basalte, sur la nature d’un calcaire particulier qui a reçu le nom de dolomie.
La querelle des basaltes
L’origine du basalte, de cette roche d’un brun tirant sur le noir, sur le vert et le rouge foncés, et qui a pour principaux éléments la silice, l’alumine, la chaux et l’oxyde de fer, était alors, parmi les géologues, l’objet d’une vive controverse, sur laquelle il convient de nous arrêter un instant.Tous les géologues qui avaient visité l’Etna, le Vésuve, l’Auvergne, l’île de Ténériffe, l’île de Bourbon (Réunion), etc. et qui avaient observé des prismes massifs de basalte, caractéristiques des pays volcaniques, en étaient revenus avec la conviction que le basalte est d’origine plutonique ou ignée. Cette conviction s’était encore corroborée par la ressemblance des basaltes avec des laves compactes d’une origine volcanique évidente, ressemblance d’autant plus grande que plusieurs laves prennent un retrait prismatique rappelant la forme du basalte. Il y eut donc unanimité sur l’origine ignée du basalte. Bergmann, ayant analysé un basalte de l’île de Staffa, souleva le premier quelques doutes à cet égard. Ces doutes se propagèrent depuis que Dolomieu avait dit que « les basaltes des contrées de l’Éthiopie, employés par les Égyptiens pour leurs statues et leurs ornements, n’étaient point volcaniques; que les naturalistes et les sculpteurs italiens, accoutumés à regarder toutes les pierres noires comme volcaniques, leur avaient attribué cette origine, d’autant plus facilement qu’ils se servaient pour restaurer les statues de laves très compactes. » Desmarets avait décrit les basaltes d’Auvergne sous le nom de gabbro, que les Italiens appliquaient à une pierre d’origine aqueuse. Enfin, Werner affirmait avoir vu dans les montagnes de Scheibenberg, en Saxe, que le wacke , alors généralement regardée comme de formation aqueuse, passait à l’état de basalte par des nuances insensibles, et im en concluait que cette roche s’était formée dans l’eau.
De cette discordance naquirent des discussions violentes. Les vulcaniens citaient, à l’appui de leur thèse, les expériences de Hall sur la fusion comparée du basalte et du diorite . Hall avait montré que le basalte et le grünstein (diorite), dont l’origine ignée était incontestée, donnaient par la fusion un verre homogène semblable; que ce verre, fondu de nouveau et refroidi lentement, donnait une pierre à cassure terreuse, absolument identique. Les neptuniens opposaient à leurs antagonistes la forme prismatique, comme caractérisant la cristallisation aqueuse. Ils citaient à leur appui la montagne basaltique de Stolpen, à six lieues de Dresde, et les basaltes qui couronnent, en forme de dômes et chapiteaux, les sommets de la chaîne qui sépare la Saxe royale de la Bohème. Ils insistaient particulièrement sur ce que ces dômes ou cônes de basalte avaient pour assises des colonnes multipliées généralement très minces, interposées entre des couches d’autres substances d’une origine certainement aqueuse, telles que des grès, des pierres calcaires, etc. : ces substances sont quelquefois comme entrelacées avec ces couches et en suivent toutes les sinuosités, comme Fortis l’a observé en passant de Valdagne à Schio dans le Vicentin.
Mais comment expliquer la présence, à peu près constante, des basaltes dans des pays évidemment volcaniques? Les neptuniens ne firent qu’accroître les difficultés en disant que « le terrain basaltique est le seul propre à la formation des volcans, que ce terrain leur a donné naissance plutôt qu’il ne l’a reçue d’eux, que les laves basaltiques sont le produit de l’altération des basaltes, et que ces laves sont, avec les basaltes, les seules roches connues qui contiennent une aussi grande quantité de fer. »
Ces discussions, où l’on se payait, de part et d’autre, plus souvent de mots et d’hypothèses que d’observations exactes, aboutirent à une sorte d’opinion mixte. D’après cette opinion, professée par Dolomieu, da Rio, Fortis, Spallanzani, etc., les basaltes sont, les uns volcaniques, les autres d’origine aqueuse; les basaltes de Saxe et ceux d’Éthiopie, et probablement ceux d’Écosse et d’Irlande, appartiennent sûrement à cette seconde catégorie, tandis que les basaltes d’Italie et ceux d’Auvergne doivent être rangés, en partie, sinon en totalité, dans la première catégorie. D’après une dernière hypothèse, soutenue par patrin, les basaltes sont le produit d’une éruption boueuse de volcans sous-marins, et c’est à la nature de cette éruption qu’ils doivent leurs principaux caractères. Alex. Brongniart a présenté cette hypothèse comme la plus vraisemblable
La question est aujourd’hui vidée. Sans s’être laissé égarer par quelques cas isolés, d’une anomalie apparente, où des veines de basalte ont pénétré, soit un lit de charbon de terre sans lui avoir enlevé une partie notable de son carbone, soit des couches de grès sans leur avoir donné un aspect de fritte ou de scorie, soit des couches de craie, sans que la craie ait été convertie en marbre granulaire, tous les géologues reconnaissent maintenant que le basalte est un produit de formation ignée, sorti du sein de la Terre à l’état fluide, par de longues fissures ou par des cheminées étroites, plus ou moins cylindriques. (Hoefer).

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